30 mars 2009

En route pour les Galapagos

Nous sommes le lundi 30 mars, il est 3H00 du matin et je prends mon quart. Nous avons quitté l'archipel des Perlas à destination des Galapagos vendredi en fin d'après-midi. Depuis notre départ, tout est calme, très calme : il n'y pas de vent, il fait beau, la mer est quasi plate, seule la houle (petite) est visible pour nous rappeler que nous sommes bien dans l'océan. Du coup, pour le moment, nous progressons assez laborieusement GV établie et moteur, avec une toute petite moyenne de 4 nœuds. A cette vitesse, il nous faudrait encore 8 jours pour approcher des otaries ... donc ça va changer, on est d'accord Eole ? ;-)
Notre position GPS actuelle est 5° 00,47 N 79°57,75 W.

3 bonnes semaines se sont écoulées depuis que nous sommes dans le Pacifique, depuis que nous avons passé le Canal. Flashback sur un moment particulier, sur un moment dont tous les navigateurs ont rêvé, le passage du Canal de Panama. Nous en avons rêvé nous aussi avec Nathalie, pendant des années de ce moment là. Nous avons dévoré tous les articles de Voiles & Voiliers sur ce sujet, nous nous sommes projetés régulièrement .... Le 5 mars dernier, c'était donc NOTRE jour et comme promis ;-), je vais vous le raconter.
Il est 16h00 quand nous quittons la marina de Shelter Bay pour ce qu'on appelle les Flats. Les Flats, c'est une zone de mouillage située à l'entrée du Canal. C'est ici que nous avons rendez-vous avec notre pilote et nos handliners. Chaque bateau qui passe le Canal doit obligatoirement avoir à bord 4 handliners (les personnes qui tiennent les amarres dans les écluses), le pilote (plus précisément l'adviser, imposé par l'autorité du Canal) qui donne toutes les instructions et le skipper, à la barre. Nous avons donc recruté 2 handliners pour épauler Nathalie et Alain. Au final, nous avons hérité d'un 3ème handliner qui devait se rendre à Panama City et qui a choisi na maka comme moyen de transport.
A 16H30, nous sommes donc mouillés aux Flats, à l'écoute de la VHF. C'est par la VHF que l'autorité du Canal transmet à chaque bateau l'heure d'arrivée de son pilote.
L'excitation est à son comble à bord de na maka, à l'approche de l'heure H. Mais avec l'excitation, l'appréhension prend aussi du galon car il y a beaucoup de vent et nous savons que ça complique les manœuvres dans les écluses. Et puis, il y a tout ce qu'on a lu sur les difficultés possibles et tout ce qu'on a entendu, et c'est le moment (pas choisi mais qui s'impose) d'intégrer tout ça, conséquence, la tension monte …
Il est 17H45 quand notre pilote monte à bord. Il nous explique qu'on va passer les premières écluses côté atlantique à couple d'un bateau pousseur (ce qui semble inhabituel) et les secondes écluses côté pacifique, seul au milieu de l'écluse (mais pas seul dans l'écluse). On comprend donc que nous n'aurons pas de manœuvre d'écluse à gérer en première mi-temps mais que tous les handliners seront mobilisés en deuxième mi-temps.
18H00, c'est parti, nous levons l'ancre direction les écluses de Gatun. Le vent se manifeste toujours autant mais en plus, la pluie s'invite et la nuit tombe. En 2 minutes, je suis trempé. A la barre, la pression continue de progresser. A l'approche de la première des 3 écluses à passer, le pilote nous informe d'un changement de programme, nous passerons finalement à 3 ces premières écluses, un bateau moteur de 18 mètres doit s'incruster entre le bateau pousseur et nous.
La procédure habituelle est d'arriver à couple dans l'écluse, mais dans notre cas (et je ne saurai jamais pourquoi), on doit se mettre à couple dans l'écluse. Une fois dans l'écluse, le bateau moteur vient donc se mettre à couple du bateau pousseur. Pendant qu'il effectue sa manœuvre, na maka doit rester stationnaire dans l'écluse ; l'écluse étant étroite (33 mètres), avec le vent, je dois " jouer " avec les manettes moteur pour me pas me retrouver travers au vent et partir en vrac. La pression grimpe encore, les minutes sont longues. Na maka dérive vers le bord de l'écluse, s'en écarte, revient au centre, s'en rapproche … bref, ce n'est pas évident. Et dans mes oreilles, les instructions de pilote avec comme point à ligne de chacune de ses phrases : " OK ?, nice and easy ".
Le bateau moteur étant à présent à couple du bateau pousseur, c'est au tour de na maka de se mettre à couple du bateau moteur. Ca n'est pas le plus difficile heureusement même si le vent et le courant sont des handicaps. Les 3 bateaux sont maintenant prêts pour "prendre l'ascenseur". En effet, pour ceux qui n'ont jamais vu d'écluse, pour que vous puissiez visualiser, il faut se représenter l'écluse comme un ascenseur (qui ferait 200 mètres de long sur 33 mètres de large) qui monte quand l'écluse se remplit d'eau et qui descend quand l'écluse se vide. Même si ça n'est pas très parlant, il faut imaginer 100 millions de litre d'eau se déverser dans l'écluse pour faire monter les bateaux … ça crée un sacré remous et c'est pour ça qu'il faut maintenir les bateaux à l'aide d'amarres que les handliners vont progressivement reprendre ou libérer selon que l'écluse se remplit ou se vide.
Nous vivons cette première montée dans l'écluse, les yeux grands ouverts, avec émerveillement et attention.
Là encore, procédure inhabituelle : au lieu de rester à couple pour aller à la prochaine écluse, il faut se " découpler ", puis se remettre à couple. Cette fois, le pilote propose qu'on vienne s'amarrer sur le bord d'une écluse en attendant que le bateau moteur et le bateau pousseur se remettent à couple. J'accueille cette proposition avec soulagement, car rester en stationnaire dans un si petit espace avec ces conditions de vent me parait risqué (le risque étant de se frotter aux bords de l'écluse et d'endommager le bateau).
Nous sommes les premiers à nous découpler (vu que le bateau pousseur est lui amarré contre l'écluse, il y a ensuite le bateau moteur accouplé à lui, et na maka accouplé au bateau moteur).
Alors que nous dérivons tout doucement vers le bord de l'écluse, le bateau pousseur libéré du bateau moteur, met les gaz pour se dégager. En accélérant, il crée une petite vague qui vient de travers dans l'écluse et qui nous atteint au moment même où nous nous apprêtons à nous amarrer. La conséquence est immédiate, na maka touche violemment (ou ce qui semble violent sur le moment) le mur de l'écluse par sa jupe arrière babord. Les protections (pare-battages et pneus) n'ont pas suffit. Un coup d'œil rapide suffit pour voir les dommages, la jupe semble légèrement fendue (sans jeu de mot), le mal est fait et pour moi, c'est le rêve qui est subitement endommagé. Le bateau a mal, j'ai mal et c'est comme ça que je le vis. Evidement, avec le recul (qu'il a fallu que je prenne pour avoir envie de vous relater ce moment), tout ça est très psychologique et je le sais.
Même si le bateau n'est pas une personne, ça n'est pas (pour nous) un objet. Le bateau a une âme (en tous cas, c'est ce qu'on veut bien croire) et nous le protégeons et le chérissons comme un être que l'on aime. A l'heure où j'écris ces lignes, au milieu de nulle part, seuls dans l'océan, je peux vous promettre que je crois ce que je vous écris ;-)
Après cet épisode, la suite du passage prendra pour moi une autre tournure, plus guère d'excitation, que de l'appréhension.
Il est 21H30 quand nous arrivons à l'entrée du lac Gatun. Nous prenons un coffre (mooring) pour la nuit. Je n'ai ni le cœur ni l'envie de partager une bière avec le pilote, dont j'estime toujours qu'il est en grande partie responsable de l'accident en ayant laissé se dérouler des procédures inhabituelles qui ont conduit à l'accident. C'est donc amer, que je vais me coucher. Demain sera un autre jour.
Le lendemain matin, nous nous réveillons dans le lac Gatun, avec le bruit des singes hurleurs. Le décor de jour est assez impressionnant.
Vers 8H00, le nouveau pilote monte à bord, il a appris l'incident de la veille et tente en vain de me rassurer sur les risques du jour. Je suis moins inquiet que toujours en colère. J'en profite (même si ça ne sert à rien) pour lui dire ce que je pense de son confrère de la veille. Les handliners interrogés semblent ok avec mon analyse, ça ne change pas pour autant mon degré d'amertume.
Cette seconde journée sera plus sereine, malgré un programme bien chargé. Il faut traverser le lac Gatun (30 milles) et passer les 3 écluses de Pedro Miguel et Miraflores.
Les passages, seul au milieu de l'ascenseur qui descend, sont plus tranquilles car le courant beaucoup moins fort, quoique que les manœuvres pour s'amarrer dans l'écluse ne manquent pas d'originalité. En effet, quatre hommes postés de part et d'autre des bords de l'écluse nous lancent des poulines ou bobines de ficelle lestées qu'il nous faut attraper. Chacune des 4 amarres ainsi arrimées à chaque pelote peut être reprise par les hommes situés de chaque côté de l'écluse.
Il est 15H00 quand nous passons sous le pont des Amériques, ça y est, nous sommes dans le Pacifique !!!

Hasta la vista, Geronimo

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